Un chien Berger des Shetland mâle entier de 7 ans est référé pour une dégradation de l’état général évoluant depuis environ 3 semaines, avec augmentation de la prise de boisson depuis 2 semaines, perte de poids (perte de 1 kg en 10 jours) et dysorexie évoluant en anorexie depuis 48 h.
A l’examen clinique, une maigreur et un abattement sont constatés. Les muqueuses sont roses et sèches. Les bruits cardiaques sont assourdis à l’auscultation. Le reste de l’examen clinique est dans les normes.
La biochimie révèle une discrète hypercalcémie totale (Ca 143 mg/L ; valeurs de référence : 79 – 120 mg/L). La numération formule sanguine est sans anomalie.
Des radiographies du thorax sont réalisées (Figure 1). Que voyez-vous ?
Imagerie et diagnostic
Radiographies du thorax (figure 2)
- Rétraction des lobes pulmonaires de la paroi thoracique par une opacité liquidienne (A et C ; flèches blanches) avec scissures interlobaires, effacement des bords du diaphragme et de la silhouette cardiaque => épanchement pleural marqué.
- Arrondissement des bords des lobes pulmonaires (A ; flèches noires) => épanchement pleural chronique.
- Déplacement dorsal marqué de la trachée (B ; flèches bleues), déplacement caudal de la carène bronchique (A et B ; flèche verte) et de la silhouette cardiaque => effet de masse médiastinale crâniale ou épanchement médiastinal.
NB : l’incidence radiographique de face présente une forte rotation ne permettant pas d’évaluer la largeur du médiastin. Cet élément aurait été une donnée importante au vue de la suspicion.
Une thoracocentèse permet de retirer près de 500 mL d’épanchement pleural séro-hémorragique. Après thoracocentèse, les radiographies thoraciques (Figure 3) mettent en évidence une structure ovoïde d’opacité tissulaire (A et B ; flèches noires) située crânial à la silhouette cardiaque et ventral à la trachée sur les vues latérales, ainsi qu’un élargissement marqué du médiastin crânial sur l’incidence ventro-dorsale (C, flèches blanches), renforçant ainsi la suspicion de masse médiastinale crâniale.
Le diagnostic différentiel d’une masse médiastinale crâniale inclut dans ce cas un processus tumoral tels qu’un lymphome médiastinal ou un thymome, ou un autre type tumoral moins fréquemment rencontré comme un carcinome thyroïdien ectopique ou plus rarement un sarcome ou une métastase. Un processus bénin non néoplasique est considéré comme moins probable (kyste, granulome, hématome, abcès).
Quel autre examen d’imagerie conseillez-vous pour explorer la suspicion de masse médiastinale ?
Il est décidé de réaliser une échographie du thorax pour explorer la suspicion de masse médiastinale crâniale. En effet, l’échographie est complémentaire de la radiographie car elle permet de distinguer les structures liquidiennes des structures tissulaires ayant la même opacité radiographique.
Echographie thoracique (figure 4)
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- Volumineuse masse tissulaire hypoéchogène hétérogène (A et B) et vascularisée (C), aux contours bien délimités => probable processus tumoral.
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- Contact étroit avec le cœur qui est comprimé et repoussé caudalement (B ; flèche) => masse de localisation médiastinale crâniale et exclusion d’une origine cardiaque.
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- Les noeuds lymphatiques du médiastin crânial sont épaissis, arrondis et hypoéchogènes discrètement hétérogènes (E et F) => infiltration néoplasique des nœuds lymphatiques (processus tumoral disséminé ou métastases loco-régionales), ou peu probablement adénite réactionnelle.
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- Liquide pleural libre discrètement corpusculaire (D ; étoile) => exsudat ou transsudat modifié.
A ce stade des investigations, un lymphome médiastinal est considéré comme diagnostic différentiel prioritaire.
En fin d’examen, sous sédation et contrôle échographique, l’épanchement est prélevé et des cytoponctions de la masse et des nœuds lymphatiques sternaux sont réalisées et envoyées au laboratoire pour analyses cytologiques.
L’analyse cytologique est en faveur d’un lymphome médiastinal de morphologie lymphoblastique, de haut grade et de phénotype T suspecté, avec infiltration du ganglion sternal et desquamation lymphomateuse pleurale.
Un bilan d’extension et une chimiothérapie sont proposés mais refusés par le propriétaire.
DISCUSSION
Ici, une masse médiastinale a été d’emblée suspectée sur la base de la radiographie. En effet, les critères radiographiques principaux sont l’élargissement du médiastin crânial ainsi que le déplacement des autres structures médiastinales, notamment le cœur et la carène bronchique repoussés caudalement ainsi que la trachée déplacée dorsalement. Il est attendu chez le chien normal d’avoir une carène bronchique à hauteur du 4ème voire 5ème espace intercostal (1) alors qu’ici elle est observée entre le 5ème et le 6ème espace intercostal. De plus, la trachée doit faire un angle de 20 à 30° avec la colonne thoracique alors qu’elle se trouve dans notre cas parallèle à cette dernière (2). La largeur du médiastin crânial sur une vue radiographique de face sans rotation ne doit pas dépasser 2 fois la largeur de la colonne chez des races non brachycéphales (1)(2). L’effacement du bord crânial de la silhouette cardiaque sur les deux vues orthogonales est également en faveur d’une masse médiastinale crâniale (2).
Les deux tumeurs médiastinales crâniales les plus fréquentes chez le chien et le chat sont le lymphome médiastinal et le thymome.
Il n’existe pas d’image pathognomonique d’un thymome ou d’un lymphome. Néanmoins, des indices radiographiques, échographiques et tomodensitométriques peuvent aider à classer son diagnostic différentiel.
Environ 40% des thymomes sont associés à une myasthénie grave. Le thymome est la cause la plus commune de myasthénie grave acquise chez le chien (3). Il s’agit d’un syndrome paranéoplasique secondaire à la formation anormale d’auto-anticorps dirigés contre les récepteurs à l’acétylcholine, empêchant la transmission synaptique au niveau des jonctions neuro-musculaires. Par conséquent à la radiographie, il sera possible de voir un œsophage anormalement distendu sur tout son trajet (mégaoesophage) ainsi que d’éventuels foyers de bronchopneumonie par aspiration secondaires à la dysphagie. Ces lésions n’ont pas été observées dans notre cas.
Dans une étude menée sur 50 chiens et chats (35 thymomes et 15 lymphomes), à l’examen échographique, la quasi-totalité des thymomes étaient hétérogènes (94%) et 57% d’entre eux contenaient des kystes, alors que 80% des lymphomes prenaient un aspect plus tissulaire (4). Dans le cas abordé ici, la masse apparaissait hétérogène mais globalement tissulaire, sans collection liquidienne significative pouvant évoquer un kyste. L’échographie a permis d’orienter le diagnostic vers un processus tumoral, avec une plus forte suspicion de lymphome.
L’échographie permet de guider des prélèvements (aspirations à l’aiguille fine ou biopsies) d’une masse médiastinale, afin d’obtenir un diagnostic cytologique ou histologique. Néanmoins, la cytologie ne permet pas toujours de faire la distinction définitive entre un lymphome et un thymome. Ceci peut s’expliquer par les ressemblances cytologiques de ces tumeurs, les deux se composant de petits lymphocytes, par un faible pourcentage de cellules épithéliales sur un prélèvement de thymome, ou encore par la composante kystique des thymomes (3). D’autres méthodes peuvent préciser le diagnostic, notamment la cytométrie de flux qui va permettre de distinguer les lymphocytes thymiques des lymphocytes périphériques (3).
Le scanner est également un examen complémentaire de choix. Les lymphomes ont plus tendance à être homogènes, ainsi qu’à envelopper la veine cave crâniale, du fait de la confluence de plusieurs nœuds lymphatiques médiastinaux hypertrophiés (5). Les thymomes présentent un aspect plus hétérogène et kystique (6). Une déviation standard de plus de 17 UH en post-contraste est en faveur d’un thymome avec une spécificité de 79% et une sensibilité de 72%, ceci pouvant s’expliquer par l’aspect hétérogène de la masse (5).
L’examen tomodensitométrique permet d’indiquer au chirurgien les possibilités de résection de la masse par l’évaluation de la taille de la tumeur, des structures voisines et de leur éventuelle invasion. Il s’agit d’un aspect important à prendre en compte car l’exérèse chirurgicale est le traitement de choix des thymomes. Une résection incomplète est associée à un moins bon pronostic (6). De la radiothérapie peut néanmoins être proposée si la tumeur n’est pas résécable. On envisagera une chimiothérapie dans le cadre d’un lymphome médiastinal (3).
A noter que l’hypercalcémie, observée dans notre cas et correspondant à un syndrome paranéoplasique associé à la production excessive de PHT-RP (Parathormone – Related Protein) par la tumeur, peut être un élément en faveur d’un lymphome. Cependant cette anomalie ne doit pas, seule, être utilisée pour différencier les deux types tumoraux. En effet, l’hypercalcémie peut être observée dans certains cas de thymomes, mais bien moins fréquemment qu’en cas de lymphome (3)(7). Elle peut se traduire cliniquement par une PUPD, comme rapportée dans notre cas.
En conclusion, dès lors qu’une masse médiastinale est suspectée à la radiographie, une échographie peut être facilement réalisée dans un second temps pour orienter le diagnostic et réaliser des cytoponctions échoguidées. Dans notre cas, la cytologie a permis d’emblée d’établir le diagnostic de lymphome médiastinal. Selon les résultats de l’examen échographique et de l’analyse cytologique, un scanner peut ensuite être envisagé, notamment pour la planification de l’exérèse chirurgicale d’un thymome.
Bibliographie :
(1) Baines E. 2008 “The Mediastinum”. In : Schwarz T, Johnson V, eds. BSAVA Manual of Canine and Feline Thoracic Imaging. British Small Animal Veterinary Association, pp 177 – 199.
(2) Thrall DE. 2018 “Canine and Feline Mediastinum”. In : Thrall DE, Textbook of Veterinary Diagnostic Radiology. 7th ed. St. Louis, Missouri : Elsevier Saunders ; pp 608-638.
(3) Withrow SJ, Vail DM, Page R. 2012 “Miscellaneous tumours”. In: Withrow SJ, Vail DM, Page R, eds. Withrow and MacEwen’s Small Animal Clin ical Oncology. 5th ed. St Louis, Missouri: Elsevier Saunders; pp 689-691.
(4) Patterson MM, Marolf AJ. Sonographic characteristics of thymoma compared with mediastinal lymphoma. J Am Anim Hosp Assoc. 2014;50:409-413.
(5) Reeve EJ, Mapletoft EK, Schiborra F, Maddox TW, Lamb CR, Warren-Smith CMR. Mediastinal lymphoma in dogs is homogeneous compared to thymic epithelial neoplasia and is more likely to envelop the cranial vena cava in CT images. Vet Radiol Ultrasound. 2019;1–8.
(6) Von Stade L, Randall EK, Rao S, Marolf AJ. CT imaging features of canine thymomas. Vet Radiol Ultra- sound. 2019;1–9.
(7) Vail DM, Pinkerton ME, and Young KM. 2012 “ Hematopoietic Tumors ”. In: Withrow SJ, Vail DM, Page R, eds. Withrow and MacEwen’s Small Animal Clin ical Oncology. 5th ed. St Louis, Missouri: Elsevier Saunders; pp 689-691.